L’homme a toujours cherché à s’armer contre la faim, le froid, l’adversité, et ce depuis Caïn. Il utilisa sa force, fit appel à son matériel, améliora sa dextérité et se servit de son intelligence. L’histoire de l’escrime en témoigne :
Que l’on considère l’escrime comme un art d’agrément ou une science des armes, un moyen d’éducation ou un sport, ce qui ressort de son étude est sa richesse : Richesse d’une histoire millénaire, d’une technicité importante et d’un palmarès élogieux, richesse de champions et de maîtres respectés, mais surtout richesse de valeurs que l’escrime a su générer et qu’elle cherche à inculquer à travers sa pratique.
La naissance de l’escrime: Des pharaons aux romains
Quatre bons siècles avant les jeux olympiques de la Grèce antique, un bas relief du temple de Médinet-About (Haute Egypte) construit par Ramsès III en 1190 avant J-C, évoque une compétition sportive organisée par le pharaon pour célébrer sa victoire sur les Libyens. Les armes, certainement des « bâtons à plaques », sont mouchetées par un renflement bien visible. Les mains sont protégées par une garde analogue à celle d’un sabre, et certains des escrimeurs ont la figure protégée par un masque dont la mentonnière en bourrelet, couvrant les deux oreilles, est rattachée à la perruque. Le bras non armé sert à parer et il est protégé d’une sorte de bouclier.
Il faut attendre 400 ans pour retrouver trace de l’escrime, à l’époque de la Grèce antique. Nombre d’entre nous savent que l’escrime était au programme des premiers jeux de l’ère moderne en 1896, mais beaucoup ignorent qu’elle le fut aussi aux premiers jeux olympiques, en 776 avant J-C. Attentifs à former également le corps et l’esprit de leur jeunesse, les Grecs avaient mis à l’honneur tous les jeux préparant à la profession des armes. Les athlètes (mot dérivé du grec « Combat ») devaient être grecs, libres et sans reproches.
Les premiers lauriers et les règlements des épreuves nous sont malheureusement inconnus.
En 648 avant JC, l’enseignement de l’escrime fut introduit dans les camps romains par le consul Rutilius, afin que « le courage se joigne à l’art, et l’art au courage ». Ainsi, l’escrime se fortifia de l’impétuosité du courage, alors même que le courage empruntait à l’escrime la science et l’habileté.
L’escrime se pratiquait alors à deux mains : l’une parait les coups à l’aide du bouclier, l’autre les donnait avec le glaive. C’est le début de l’escrime de pointe, plus mortel que les coups de tranchant.
La chevalerie : l’escrime pour l’honneur, la justice et la foi
Pour le chevalier ou l’écuyer, l’escrime faisait partie de la bonne éducation qu’il devait recevoir avant l’adoubement (adouber : remettre solennellement son armure au nouveau chevalier). Le métier des armes était long et pénible pour le jeune noble, jusqu’au jour solennel où enfin, l’épée bénite, symbole de gloire, de justice et de valeur morale, lui était remise avec l’écu et la lance.
L’initiation terminée et l’accolade donnée, on laissait aller le noble chevalier vers les combats singuliers pour la défense des faibles et des opprimés, mais également vers les tournois qui représentaient une source de profit : Le chevalier recevait le cheval et l’armure de l’adversaire qu’il avait déconfit avec les armes courtoises (émoussées).
Aux XIIème et XIIIème siècles, on rencontre déjà en France des donneurs de leçons et de conseils en escrime, dont la fonction était de préparer au duel judiciaire et parfois, moyennant de fortes sommes, de remplacer les parties en présence. Ces duels judiciaires eurent lieu jusqu’au XVIIème siècle. La vérité et le bon droit ne pouvaient que triompher dans ces « jugements de Dieu » où l’épée tranchait et séparait le vrai du faux.
Au fur à mesure du temps, ces jugements furent supprimés au profit d’une justice plus humaine. Il n’en demeure pas moins que les symboles de l’épée et de la justice ont traversé les siècles et sont aujourd’hui encore associés, imprégnant l’escrime d’une éthique forte.
Renaissance de l’escrime de pointe, un talent de cour
L’escrime de pointe, qui a permis le succès des soldats romains, est presque inexistante au Moyen Age, car la seule loi est alors celle du plus fort, dans des combats où la masse d’armes, la hallebarde ou l’épée à deux mains ne sauraient s’accommoder de la finesse de l’escrime de pointe. Cette technique refait pourtant surface au début du XVIème siècle. Les armures disparaissent, avec l’invention des armes à feu. De ce fait, les armes se modifient, les épées deviennent peu à peu un détail vestimentaire : elles ne sont pas forcément plus courtes, mais leur centre de gravité est ramené vers la main. Elles sont désormais plus légères et tenues d’une seule main. Les méthodes italiennes et espagnoles se répandent alors en France, prônant la supériorité du coup de pointe et précisant les différentes techniques d’attaque et de défense.
L’essor de l’escrime italienne et française
Cependant, l’attitude quelque peu prétentieuse de l’escrime espagnole passa de mode au début du XVIIème siècle, laissant la voie libre à l’escrime italienne. Les maîtres d’armes italiens affluèrent à la cour des rois de France, de Charles IX à Louis XIII. Ils s’y maintiendront jusqu’à la révolution. Les plus connus sont Pompée, sous Charles IX, et Silvie, sous Henri III. C’est à cette époque que l’escrime se développe le plus: les gardes, la mesure et le moment favorable à l’attaque deviennent de véritables techniques.
Avant le milieu du XVIIème siècle, il n’y a que très peu de Français parmi les maîtres célèbres : Noël Carré, Jacques Ferron, le Flamand, Petit-Jean et Saint-Didier restent les seuls maîtres connus. C’est sous Louis XIV (à qui l’on doit le raccourcissement de l’épée de cour) que la méthode française commence à se distinguer, surtout par l’adoption du fleuret court, terminé par un esteuf ou une mouche. L’escrime de pointe se perfectionne, les mouvements sont plus rapides, plus compliqués et ne sont freinés que par l’absence de masque, qui bride la fougue des tireurs.
La naissance de l’escrime moderne
La classification des actions, la définition des termes et les méthodes d’enseignement furent progressivement établies par des maîtres français. La phrase d’armes ne fut réellement créée qu’avec l’apparition du masque à treillis métallique qui permit les remises, les arrêts, les redoublements et les contre-ripostes.
L’escrime moderne, plus codifiée et réglementée dans sa pratique, naquit véritablement au début du XIXème siècle. Sa pratique devient ouverte à tout le monde. En effet, après la révolution, la noblesse, ou ce qu’il en restait, n’était plus la seule à vouloir porter l’épée et à pouvoir le faire. Les bourgeois, les gens de plume fréquentent alors de plus en plus la salle d’armes.
Le XIXème siècle fut un siècle extraordinaire pour la pratique de l’escrime : les armes légères et équilibrées permettent des prouesses techniques en toute sécurité et les maîtres d’armes, au sommet de leur science, parfois de leur génie, transmettent et codifient l’art du « beau et fin fleuret français ». Ils seront à la source du formidable rayonnement de l’escrime française. Les salles d’armes civiles et militaires se multiplient, les pratiquants affluent et s’engouent de cette activité physique en vogue.
Mais l’escrime, qualifiée également de jeu de l’esprit, ne deviendra un sport qu’à la fin de ce siècle.
L’escrime, art sportif
C’est vers 1890 que l’on commence à parler d’escrime sportive et de distinction entre les armes actuelles (fleuret, épée, sabre). Des révolutionnaires suggèrent de faire « juger » les assauts et de compter les coups de bouton. Quelle révolution ! La première règle de l’assaut n’était-elle pas la loyauté? On ne prononce encore pas le mot de « match » mais celui de « duel blanc », avec un juge et quatre témoins, mais le score importait moins que la manière et la vitesse relative des coups.
Les escrimes italiennes et françaises se disputent encore et toujours la gloire des armes à l’épée et au fleuret, parfois démouchetés, alors que le sabre prend déjà la direction de l’Est. Peu à peu, la pratique du sport s’organise et les compétitions apparaissent. En 1892 se déroule le premier championnat scolaire au fleuret, par élimination directe en une touche, sauf en finale où Bétoland battit J.J. Renaud par 4 à 3. En 1896, le fleuret et le sabre figurent aux J.O d’Athènes. L’épée apparaît à ceux de Paris en 1900, et les rencontres par équipes en 1908. Le fleuret dames ne voit le jour qu’en 1924, l’épée dames attendra 1996 (et la victoire de Laura Flessel), et le sabre dames le XXIème siècle.
Le tournoi international de 1905 appliquera la règle de validité des coups au bras armé plié mais, plus que la validité des touches, leur matérialité commençait sérieusement à préoccuper Les arbitres. Il fallut attendre 1931 pour que soit expérimenté le premier appareil de contrôle électrique.
Aujourd’hui, l’escrime se pratique dans le monde entier avec des compétitions organisées partout, des plus jeunes aux vétérans, notamment les championnats du monde (de cadets à vétérans), organisés tous les ans, sauf années olympiques.